L’Analyse de pratique réflexive

Expliciter, janvier 1999, N° 28, 1-6.

par Catherine Coudray , Jean-Pierre Ancillotti ,

Ainsi donc avons-nous été amenés à travailler :
–  sur des situations professionnelles actuelles pour lesquelles les praticiens cherchaient des pistes de solution ;
–  sur des problèmes passés que les praticiens souhaitaient réenvisager grâce à l’acquisition de nouvelles compétences ;
–  sur des savoir-faire que les praticiens avaient su mettre en oeuvre, sans savoir comment ils s’y étaient pris et donc comment les transférer.

1. L’analyse de pratique réflexive, pour quoi faire ?

Nous avons élaboré une nouvelle procédure d’analyse de pratique à l’aide des outils de l’entretien d’explicitation et dont le principal objectif était de répondre à ces demandes centrées sur l’analyse et/ou le changement.
Lors de l’ouverture de chaque stage d’analyse de pratique, nous écoutons et nous questionnons les demandes que nous font les stagiaires. Nous avons observé deux grandes catégories qui peuvent être regroupées selon deux pôles : compréhension et changement, se définissant ainsi :
1) – objectifs personnels : après un temps d’activité, remettre en question sa pratique, retrouver un sens à son action, progresser personnellement, mieux utiliser les outils acquis, s’orienter vers d’autres méthodologies…
2) – objectifs institutionnels : devenir un meilleur professionnel, comprendre son comportement dans le groupe, réguler les tensions, solutionner des conflits, découvrir une pratique nouvelle mieux adaptée à des conditions d’exercice changeantes…

2. Action et prise de conscience.

Nous reprenons l’hypothèse phénoménologique, selon laquelle l’action est en partie opaque à celui qui la conduit : un objectif de professionnalisation vise donc dans une première étape la prise de conscience, par le praticien/questionné, de ses actions, de ses représentations, de ses procédures et de ses stratégies. Il pourra ainsi les conserver en toute connaissance, les affiner, ou en changer. Nous utilisons une deuxième hypothèse, tirée des travaux de Jean PIAGET [1] : l’action serait en elle-même « une connaissance autonome », qu’il convient de savoir questionner pour la mettre à jour.
Pour ce faire nous disposons des techniques de l’entretien d’explicitation [2] (contrat de communication, régulation, évocation fragmentation, élucidation … ), qu’il convient d’intégrer dans une démarche réflexive concrète, repérant jugements commentaires et interprétations [3] pour les dépasser. De plus nous avons été amenés à intégrer à notre démarche les procédures provenant de l’approche interactionnelle et de l’analyse systémique. Nous prenons donc appui sur des situations vécues par le professionnel, situations concrètes et spécifiées.
Nous amenons tout d’abord les stagiaires à opérer un réfléchissement de l’action, pour atteindre les représentations, procédures et stratégies déployées dans la situation et aboutir à une définition rigoureuse du “problème” [4] qu’elle pose au praticien.
La session se fonde sur une démarche rationnelle, au sens poppérien [5] du terme c’est-à-dire que les animateurs ne possèdent pas un savoir « a priori » sur ce qui va être analysé, et encore moins des « solutions » toutes faites Elle est centrée sur la « praxis », et non sur le discours- à-propos -de, sur l’interprétation ou le jugement. L’analyse de pratique réflexive vise la prise de conscience au sens cognitif, et non psychanalytique du terme. Bien sûr, chacun reste libre de participer ou pas, voire de quitter la session ou de la «  suspendre », sans qu’il soit fait de commentaires.
La vidéo est utilisée selon les modalités réflexives tirées de la pratique de l’école de Palo Alto [6].
Dans cet article, nous donnerons deux illustrations tirées de nos sessions enregistrées in extenso avec l’accord des participants. Les deux situations présentées ont été proposées par des stagiaires qui ont désiré amorcer une démarche réflexive concernant leur position au sein de leur équipe de travail.
Exemple n°1 : Une difficulté de communication dans l’équipe

Lors d’une session d’analyse de pratique réflexive, un stagiaire, après contrat, propose d’évoquer une situation professionnelle difficile pour lui : au cours d’une réunion institutionnelle, il avait eu le sentiment de se « faire piéger deux fois » au sujet d’un problème d’emploi du temps :
[ Le questionneur (B) commence par faire contextualiser la situation]
1 A – : « C’est une salle très claire, très agréable, parce qu’on a la vue sur ( … ) et en fait y’a un ensemble de tables ( … ) qui sont rapprochées, qui font un rectangle et on est tous installés autour de cette table ».
2 A – : « Ce matin là, …, l’impression que j’ai c’est qu’ils discutent d’un truc dont je suis pas au courant ( … ) Je me suis demandé, comme à chaque fois, ce que j’allais faire. Est-ce que j’allais leur demander, euh, de m’expliquer, est-ce que j’allais attendre de voir s’ils m’intégraient à la conversation, ce qu’ils font des fois, euh, … ou est-ce que je dirai rien et ils ne m’intégreraient pas à la conversation, enfin, y’a toutes ces possibilités, ( … ) »
[Le questionneur va opérer une focalisation pour comprendre et permettre à (A) de découvrir de quoi est faite cette « impression  »]
3 B – Et ce matin-là, tu étais comment ?
4 A – Alors ce matin là, … je, oui, j’étais bien, j’étais bien, j’ai demandé effectivement, ce qu’il se passait quoi.
5 B – D’accord …
6 B – Et au moment où tu dis « Est-ce qu’on commence ?… »
7 A – Y’a des gens qui se sont levés pour se servir du café ,
8 B – Mais au moment où tu as posé la question ?
9 A – : Non, ils sont à leur place, ben y’en a qui ont leur cahier ouvert devant eux
10 B – Que font chacune des deux formatrices  ?
11 A – Il me semble qu’elles feuillettent leur cahier,
12 B – Donc tu dis : “Est-ce qu’on commence  ?”, … y’a eu des réactions.
13 A – Je me suis dit, ben, c’est pas le bon moment, y a quelque chose qui se passe, je sais pas quoi, c’est toujours ce truc, euh, qu’il s’était passé des choses quand j’étais pas là,… je trouve qu’il y a du malaise, je sais pas,… il se passe un truc qui m’échappe,…
14 B – Et comment tu sais qu’y s’passe un truc qui
15 A – C’est une hypothèse, en fait j’en sais rien, par-ce que … rationnellement, Y’a pas de raison qu’on commence pas.
[L’ « impression » a été recadrée par (A) lui-même en « hypothèse », ce qui ouvre sur un questionnement plus précis]
16 B – Donc, à ce moment-là tu formules une hypothèse,
17 A – : Voilà, je me dis, euh, ou les gens ils ont la trouille
18 B – Et à ce moment-là qu’est-ce que tu as fait ?
19 A – Je me suis dit, euh, enfin là c’était un peu un jeu dans ma tête, j’avais envie de rire,je me suis dit, je vais attendre un moment, on va bien voir,
20 B – D’accord ( … )
21 A – Ben, là jme suis senti en situation d’extériorité. Parce que pour moi c’était un jeu, je me suis dit ou de toute façon je vais reposer la question, … qu’on prenne une décision, enfïn, de façon plus rationnelle, ou, euh, je me suis dit, purée, euh, ça va peut-être être ennuyeux pendant trois heures, euh, donc je vais regarder quand même aussi un peu ce qui . se passe, euh, je vais essayer de m’amuser un peu. Et donc, là, j’étais en situation d’extériorité. Je me suis dit, tiens on va voir quand ça va commencer, qu’est-ce qui va permettre que ça va commencer, donc je suis en situation d’extériorité.
[A explicite son « hypothèse « et le questionnement va s’intéresser aux indices sensoriels sur lesquels elle se fonde]
22 B – Et en situation d’extériorité, tu as vu quelque chose en particulier ?
23 A – Moi, j’ai senti que les gens étaient mal à l’aise, voilà et c’est mon sentiment à moi,
24 B – Et ce sentiment, à quoi tu pouvais, … qu’est-ce que tu, à quoi tu peux dire c’est …
25 A – C’est l’attitude corporelle, des personnes, euh, qui me faisait penser qu’ils étaient pas bien.
[Les indices pertinents de (A) sur lesquels il fondait son « impression”, puis son « hypothèse « étaient donc de nature non-verbale]
26 B – Pas bien, c’est-à-dire ?
27 A – Par exemple, donc, le collègue, qui était en face de moi, euh, il avait la tête extrêmement baissée sur son journal [à ce moment-là, il mime] alors, qu’il y a des jours, il discute, il lit pas son journal, alors donc là, il avait la tête vachement baissée sur soli journal,
28 B – : D’accord,
29 A – : Alors y’avait la collègue qui était à côté de lui qui avait le visage un peu rouge, tu sais comme t’es, comment dirais-je, comme et, euh, la collègue qui était à côté de moi, elle faisait la moue, quand elle fait la moue et euh, le responsable, il m’a regardé, par en dessous, et je trouvais soit regard, 41 était noir, enfin il était pas, style euh, ” Enfin qu’est-ce qu’il cherche ?”. Y’avait pas de raison,
[Chaque indice non-verbal s’accompagne d’une attribution d’intention à la personne observée (B) possède donc maintenant le cycle de fonctionnement de (A) indices non-verbaux /impression /hypothèse /comportement]
30 B – : Et à ce moment-là, quand tu étais à l’extérieur, (il récapitule donnés par A en 29 A).à l’aide des éléments
[Ici nous devons alors inclure un temps de mise à jour de la position du praticien/questionné dans les interactions qui se déroulent dans la situation évoquée – c’est pourquoi le stage d’analyse de pratique réflexive comprend l’utilisation d’outils, fournis par l’approche interactionnelle et l’analyse systémique [7], pour atteindre cet objectif.]

Procédure

Pendant que le stagiaire (A) est questionné par un autre stagiaire (B) dans une salle, la séquence est filmée avec leur accord. Le reste du groupe suit sur un moniteur vidéo, dans une autre salle, le déroulement de l’entretien. La tâche pour chacun de ces observateurs est de relever les éléments relatifs au problème de façon à pouvoir en proposer une définition que nous leur demandons d’énoncer en une phrase, de manière concrète, sans jugement. A l’issue de l’entretien filmé (trente à quarante minutes) le questionneur rejoint le groupe. Chaque stagiaire propose sa définition du problème, que le questionneur note. Celui-ci va ensuite retrouver la personne interviewée pour lui proposer de réagit- à chacune des définitions. Il les enregistre sans relance ni commentaire.

Dans l’exemple n°1 cité
(ici, nous ne donnerons, à titre d’exemple, que 4 des « définitions » proposées par le groupe).
« Le problème c’est pour toi de … »
(B) à (A)
Définition N°1 « Trouver la place qui te convient ».
Définition N°2 « Comment faire partie d’une équipe à mi-temps ? »
Définition N°3 « Comment se positionner sans se faire piéger dans l’équipe ? »
Définition N°4 « Le problème c’est que tu penses que ta tâche c’est de régler les problèmes du groupe. »
1 … 1
(A) à (B)
Réaction N°1« Pas tout à fait faux. Mais le prix à payer ! »
Réaction N°2 « C’est pas trop un problème, on peut trouver des formules. »
Réaction N°3 « Oui ! c’était bien la question ! »
Réaction N°4 « C’est pas ma tâche, niais si je suis quelque part je veux que ça me soit utile  ».
A l’issue de cette séquence de réaction aux définitions proposées, (A) et (B) rejoignent le groupe qui fonctionne alors sur un mode de supervision (super-viser pour nous, est pris dans le sens de permettre au participant de monter d’un niveau logique, c’est-à-dire de passer ici de sa représentation du problème à la problématique que constitue l’ensemble des représentations proposées par les membres de l’équipe. Dans le cas cité, la personne interviewée déclara « Cette procédure m’oblige à intégrer différentes variables par le biais des définitions du groupe. »
C’est donc grâce à la mise à jour des actions spécifiées que chacun des membres du groupe a pu se former une représentation du problème. Fonctionner en supervision c’est alors permettre à chacun des participants de prendre conscience de la distance qui existe entre les représentations des uns et des autres. A ce stade il convient alors de sortir de la situation étudiée en proposant un exercice adapté [8]. Les stagiaires découvrent (avec surprise parfois) la distance qui existe entre les représentations des uns et des autres et la difficulté de s’accorder sur un point de vue minimal, ou même de se « mettre d’accord sur un désaccord ». C’est un pas décisif pour apprendre à écouter l’autre, à accepter ses représentations, à laisser de côté les siennes, à ne pas « induire » ou « juger ».

3. Du réfléchissement à la réflexion.

Après le premier niveau (réfléchissement de l’action et définition du problème) illustré par l’exemple N°1 le second niveau d’analyse est celui de la réflexion sur l’action pour permettre à la personne questionnée d’envisager de nouvelles pistes de solution. Les travaux de PIAGET et VYGOSTSKY ont montré la nécessité d’une médiation pour y parvenir de manière efficace [9] ; mais « comment faire concrètement ? » Le questionnement réflexif, argumenté et clinique, illustré par l’exemple N°2, permet de répondre à cette interrogation en se centrant sur les tentatives de solutions que le praticien/questionné (A) a envisagées et mises en oeuvre « Strictement souple » en ce qui concerne le cadre et « ouvert » quant au contenu, il permet de guider le praticien (A) dans la recherche et l’anticipation de nouvelles pistes de solution. Il est mené par un autre stagiaire (B) en entretien individuel, vidéoscopé pour le groupe qui peut intervenir par interphone, ou lors de la discussion qui suit en grand groupe.

Exemple n°2 : Hiérarchie dans l’équipe et problème de pouvoir

(cet exemple est tiré d’une autre session)

Contexte : le problème de (A mis à jour lors de la phase n°1 est de « clarifier une situation, et d’envisager éventuellement une décision [qu’il] aurait à prendre ».
La première phase d’entretien (30 mn) a fourni les informations suivantes :
Dans une structure d’accueil Jeunes, le département principal se trouve sans responsable titulaire. Ce poste est actuellement occupé par intérim et personne dans l’équipe ne souhaite en prendre la responsabilité. Un an auparavant, le poste a été proposé à (A) qui, travaillant à temps partiel dans cette structure, n’a pas accepté. Le poste a alors été assumé par intérim jusqu’au moment où le responsable qui assumait cette fonction intérimaire propose à (A) l’éventualité d’assumer ce poste en coresponsabilité.
(A) accepte sous réserve que certaines conditions soient remplies. Le responsable intérimaire demande alors à (A) de ne pas en parler à l’équipe avant les vacances. (A) accepte, quant à l’équipe ; mais, ayant un rendez-vous avec la direction, il lui soumet cette possibilité « pour voir si c’est faisable techniquement » ; « la direction saute sur l’occasion et donne son accord de principe », et « … l’a annoncé comme si c’était fait » ; « une personne appartenant à l’équipe apprend la “décision” qu’elle ressent comme une agression ». Le conflit devient donc maximum au sein de l’équipe et (A), lors d’une réunion est agressé verbalement.
[Le questionneur (B) rejoint alors le groupe qui, après échange, estime qu’une dimension est absente du problème, à savoir : « La conscience qu’a (A) de sa position et de sa contribution au problème »].
Pour clarifier ce point, les animateurs proposent à chacun des participants de formuler une question relative à la position de (A) et débutant par : « En quoi … est-ce que …  ? » La proposition est ensuite faite au questionneur de poursuivre le questionnement de (A) à l’aide de ces questions, ce qu’il accepte.
1 – B : En quoi le contrat avec le responsable n’a pas été respecté ?
2 – A : Pour moi, ce n’était pas un contrat formalisé, mais y’avait un contrat moral, euh, pour moi, il a été respecté.
3 – B : En quoi tu as contribué au problème avec le responsable ?
4 – A : Alors ça, je l’ai compris après. Moi, ce que j’ai pas apprécié c’est de me faire agresser en équipe. Mais si tu veux, bon, en y réfléchissant et en en discutant avec d’autres, après, j’ai su, euh, (…) on m’a mis sur mes gardes. [(A) se fait reposer la question par (B)]. Quand on avait eu cette idée ensemble, je lui avais dit [ au responsable] moi, je viens pas chercher du pouvoir dans cette structure, ce côté-là ça ne m’intéresse pas ( … ). En quoi j’ai contribué ? … Je m’en suis aperçu après. En allant voir la direction, du coup l’autre [la direction] l’a annoncé à tout le monde. Du coup j’ai contribué à le rendre [le responsable] encore plus inconfortable et c’est pourquoi il ma agressé. Mais c’était pas mon intention.
5 – B – En quoi tu pouvais pressentir que de le dire à la direction, c’était l’officialiser ?
6 – A : Ben, justement, le problème c’est que je l’ai pas pressenti du tout, et c’est là que je me suis dit, euh, j’ai fait un impair ( … ) et je l’ai réalisé, euh, enfin j’en prends conscience, c’est que finalement tout le monde soit d’accord ( … ), je me disais tout le monde va être ravi qu’il Y a quelqu’un qui veut bien le faire. Et moi je freinais un petit peu Mon gros souci à moi c’était de ne pas me faire happer.
7 – B : En quoi tu avais conscience que d’aller voir la direction ça pouvait poser un problème ?
8 – A : J’avais conscience que ça plaisait pas au responsable puisqu’il me l’avait dit et moi j’avais répondu : “Non, non, moi j’y vais sinon je n’avance pas plus loin, j’ai besoin de savoir ça. “Oui, je savais qu’il voulait pas, quand il me l’a dit sur le pas de la porte, je pensais pas que c’était très important en réalité, pour lui. ( … )
9 – B : En quoi cette agression a été un problème pour toi ?
10 – A : Ça fait partie des choses que je veux clarifier justement, mais, ( … ). En quoi cette agression a été un problème pour moi ?, ben je me suis senti manipulé à deux niveaux ( … )
11 – B : De quels éléments tu disposais déjà sur la faisabilité, avant d’aller voir la direction ?
12 – A : En fait, je croyais, je me disais, sur le coup, ça veut pas dire que je le pense maintenant, … L’année dernière j’avais dit non, ça me paraissait trop lourd. Finalement le fait de le prendre à deux, ben, ça va arranger tout le monde, l’équipe ( … ), le responsable, et c’est ce qui me faisait peur finalement, c’était que c’était trop faisable Est-ce que je me suis pas proposé trop vite et, en allant voir la direction, mon espoir c’était qu’on me dise non C’est en te parlant que je me rends compte que c’était faisable ( … ).
13 – B : Cette difficulté, en quoi c’est un problème pour toi ?
14 – A : Ça me renvoie à un fonctionnement d’équipe et de travail dans cette structure. Je me dis, quel intérêt pour moi, si ça continue, de rester dans cette structure … Mais j’y trouve aussi mon compte.

Lors de la deuxième phase du questionnement de (A), ci-dessus, la proposition des questions s’amorçant par : « En quoi … est-ce que … ? » visait à faire sortir (A) du langage convenu ou conventionnel qu’il employait. L’objectif était de l’amener ainsi :
a) – à considérer sa contribution aux interactions, donc au problème ;
b) – à se décentrer sur la position d’autrui pour voir la situation avec les yeux de l’autre ;
c) – à recueillir de nouvelles informations sur sa position : sa notion d’« intérêt personnel », la dénégation de sa volonté de pouvoir, ses interprétations des représentations du responsable (« je pensais que c’était pas important pour lui » ).

Cette séquence nous montre que les techniques d’aide à l’explicitation ne se cantonnent pas à l’évocation d’actions spécifiées, mais permettent de questionner et d’élucider des représentations appartenant à (A). Cependant elles doivent se combiner avec d’autres techniques de questionnement telles que celles provenant de l’approche interactionnelle et de l’analyse systémique. La phase d’explicitation, de questionnement actif, est indispensable pour permettre au praticien/questionné (A), une fois cette élucidation faite, de dégager sa propre piste de solution, et non de suivre celles qui seraient suggérées ou induites par le questionneur ou le groupe.
Lors d’un nouveau questionnement, le stagiaire de l’exemple n°2 sera amené à explorer ses critères, ses croyances et ses valeurs professionnelles pour parvenir à clarifier son choix.
En fin de stage (A) écrira dans son évaluation finale : « Par rapport à mon objectif plus personnel de clarification, je pense que c’est en chemin et que le travail fait est globalement positif. »

CONCLUSION

L’analyse de pratique réflexive a pour but, en ce qui nous concerne :
1 – de permettre au praticien de mettre à jour ses propres actions, de prendre conscience de ses objectifs, de ses représentations, de ses stratégies.
2 – d’organiser la réflexion du praticien à partir de ces informations recueillies en commun : il s’agit d’un dialogue réflexif, avec un questionnement clinique, argumenté, constructif, sans jugement ni induction de la part des animateurs. Il est indispensable que le praticien qui vise ces objectifs de prise de conscience, de réflexivité, de professionnalisation, soit lui-même passé par chacune des trois « positions » travaillées dans ce stage : « client » : (A), intervenant : (B), observateur/superviseur : (C) ; sinon, sa vision de la méthodologie sera partielle, partiale, inachevée.
3 – de faciliter l’apprentissage d’une position professionnelle qui se tient loin de toute influence inductrice, c’est-à-dire de toute émission de proposition ou de conseil, pour permettre l’émergence de nouvelles pistes de solution propres à la personne, à l’élève, au « client », ….
Dans ce type de session, les outils de l’entretien d’explicitation, de l’approche interactionnelle et de l’analyse systémique qui sont utilisées par les animateurs sont méthodiquement explicités aux stagiaires afin de leur montrer qu’analyser une situation, cela aussi est objet d’apprentissage. A un niveau supérieur, l’objectif- « méta », est donc que le praticien apprenne à faire de même avec les personnes dont il s’occupe (stagiaires, élèves, usagers, clients, … ) : les guider et les accompagner vers leurs propres solutions au lieu de proposer des conseils, de faire des inductions, qui sont rarement suivis d’effet. L’expérience montre dans des domaines aussi divers que l’enseignement, la formation ou la thérapie, que procéder ainsi est le plus économe de temps. « Cela peut paraître inhabituel, n’est-ce pas ? »

Au-delà de la réflexion, l’analyse de pratique réflexive, s’appuyant sur la prise de conscience des critères, des valeurs et des croyances professionnelles appartenant au praticien (A), pourra viser à lui permettre une prise de conscience de nouvelles pistes de solution en lui proposant une anticipation de celles-ci. Ce dernier niveau de l’analyse de pratique réflexive fera l’objet d’une autre publication.

[1] Jean PIAGET, La prise de conscience, PUF.,1974.

[2] Pierre VERMERSCH, L’entretien d’explicitation, E.S.F.., 1995.

[3] J-P ANCILLOTTI, M. MAUREL, A la recherche de la solution perdue, Col. Protocole, n°3 mai 1994.

[4] Employé en Analyse de Pratique Réflexive au sens étymologique (du mot grec qui signifie «  je jette en avant »), donc« sans connotation pathologique ».

[5] « J’appelle rationaliste celui qui désire comprendre le monde et apprendre en échangeant des arguments avec autrui » (Karl POPPER, Le réalisme et la science, Post-scriptum à la logique de la découverte scientifique, 1. Paris, Hermann éditeur, 1992, p.26).

[6] J.J.WITTEZAELE et T. GARCIA, A la recherche de l’Ecole de Palo Alto, Seuil, La couleur des idées, 1992, p.256.

[7] Se référer à des auteurs tels que R. FISCH, J. HALEY, D. JACKSON, P. WATZLAWICK, et à Yves WINKIN (Ed.), La nouvelle communication, Seuil, Points-Essais, 1981

[8] Nous disposons d’un répertoire d’exercices dans lequel nous puisons à ce stade de l’analyse.

[9] Jean-Pierre ANCILLOTTI, Expliciter n°24, avril 1996, GREX – Paris : Technique, relation et éthique.

2021-08-21T16:59:04+00:00