Expliciter l’anticipation

Catherine COUDRAY et Jean-Pierre ANCILLOTTI, 

Association Métamorphoses, Vallauris (06). 

Avec le concours de : Corinne  ARCETTI, Agnès  BENEDET, Rémi  BERNARD, Marc BOUDIN, Patrice DECORTE, Vincent LECUYER, Magali LONG, Michel  MARTINEZ, Luc MIDOUX, Philippe MOLINO, Dominique  PEREZ, Marc  RISSO, Dominique  SAUNAL      

Article paru dans la revue : Expliciter, novembre 2010, n°86, pages 1 à 18.

« Le triple pouvoir de rêver, de configurer le monde et d’imaginer

 se révèlera sous une forme dérivée : celui d’anticiper.

Ce triple pouvoir n’est pas, en effet accessible en lui-même.

C’est pourquoi il faut avoir recours à l’anticipation

 qui le mime en mettant au jour ses règles d’opération.

François Roustang

Depuis une dizaine d’années, nous utilisons les outils de l’entretien d’explicitation dans notre démarche de thérapie constructive ; nous alternons dans notre pratique les moments de dialogue et les propositions d’expériences à mettre en œuvre par les personnes qui nous consultent. Concernant l’action proposée à ces personnes, nous écrivions en 2006 : « la question de la présentation de l’expérience est capitale, et doit être précisée dans ces moindres détails concrets, action par action, phase par phase, ce que nous faisons par anticipation. Bien sûr, lors de la séance suivante, nous apprenons souvent que les choses se sont passées un peu différemment, et c’est heureux (…) ».[1]

         Or, nous avions déjà vérifié par l’observation suivie d’un questionnement, qu’à l’énoncé d’une expérience que nous proposions de réaliser aux personnes venant nous consulter, il leur était impossible de ne pas immédiatement s’y projeter, ou du moins de tenter de le faire. Autrement dit d’anticiper de manière brève et intense l’action à mener ou qu’elles souhaitaient mener.

Cependant, pour un certain nombre d’entre elles, un pas décisif ne semblait pouvoir être franchi. En les questionnant, il s’avéra qu’anticiper une action et s’imaginer l’effectuant alors qu’elles ne l’avaient jamais réalisée par le passé, leur semblait tout simplement impossible. Non qu’elles ne puissent pas se la représenter, bien au contraire : soit elles s’en sentaient incapables, soit elles ne percevaient pas comment une action, si petite soit-elle, pouvait avoir une incidence positive sur la suite des événements dans leur vie. 

Ces questions nous ont dès lors occupés, tant il est vrai que cela rejoignait nos connaissances sur les effets induits par les attentes, les « prédictions auto-réalisantes », bref les anticipations, qu’elles soient de caractère positif ou négatif[2]. Dans cet article, nous exposons les procédures et résultats de notre enquête qui pose ces questions, nous semble-t-il, de façon neuve.

Dans un premier temps, nous allons expliciter nos hypothèses. Puis nous exposerons en détail, à l’aide de protocoles d’entretien soigneusement retranscrits et analysés, nos expériences de recherche sur l’anticipation. Ensuite, nous dirons en quoi et comment nous considérons désormais l’anticipation comme le moteur de l’action vers l’évolution et le changement, et comment elle constitue ainsi une prise de position originale de la thérapie constructive.

 

1. Hypothèses : les « souvenirs du futur ».

 

Anticiper, c’est « prendre avant »[3], devancer, prévenir… Classiquement, l’anticipation est donc un phénomène servant l’adaptation du sujet à son milieu, une construction mentale visant l’action capable d’améliorer sa situation et d’influer sur son devenir. L’anticipation a été somme toute peu étudiée, les travaux les plus marquants étant ceux des psychiatres Jean Sutter (1983) dans le domaine de la psychopathologie et de Mario Berta (1983) pour l’étude de la fonction imagogique et son utilisation dans une Epreuve d’anticipation. François Roustang (1994), comme l’indique la citation en exergue, pose qu’entre perception et imagination il existe un lien indissociable, qu’il pousse à ses limites en évoquant l’état hypnotique comme « pure attente »[4] : « … c’est l’anticipation ouverte à trois cent soixante degrés, sans aucune restriction, c’est l’anticipation de tous les possibles ». 

Pour notre part, certains outils de l’entretien d’explicitation (EdE)[5] nous sont d’emblée apparus comme étant des vecteurs pouvant être efficaces dans notre démarche d’accompagnement constructif « anticipatoire ».

Pour éprouver cette hypothèse, nous décidâmes d’utiliser la forme d’un questionnement d’explicitation tourné vers l’avenir dans toutes ses dimensions contextuelles, sensorielles, d’action, et non plus, comme nous savions déjà le faire, en ce qui concernait des situations spécifiées du passé lors d’une évocation. Pour illustrer cela, considérons ces extraits :

Plutôt que :

« Vous avez fait quoi à ce moment-là ? Vous avez vu, senti, entendu, … quoi… ? »

Cela devient dans un 1er temps, lorsque la personne anticipe seule : « Et là, vous vous verriez faisant quoi ? Vous sentiriez, entendriez, …  quoi ? »

Dans un 2ème temps, si nous proposons d’introduire une petite séquence supplémentaire : « Et là, juste au moment où vous vous voyez faisant ce que vous feriez, si vous faisiez un pas vers la droite (ou gauche)… et que vous preniez la revue posée sur…………… »

Ainsi, pouvions-nous créer des « souvenirs du futur » qui allaient ensuite se construire dans le réel pour, par exemple, faire anticiper, au cours des séances, une situation redoutée et les moyens d’en sortir ? 

Nous devions donc accompagner chaque personne de façon à ce que de nouveaux points de vue émergent et que puissent s’accomplir des actions réussies.

Une question s’est peu à peu imposée à notre réflexion concernant ce concept d’anticipation. Quelle place pouvait-il tenir dans notre approche et comment l’utiliser de façon à ce qu’il agisse au mieux pour ces personnes ?

Pour tenter de répondre à cette question, dans un premier temps, nous avons décidé de réaliser un entretien d’explicitation suite à la mise en œuvre du protocole « ciseaux et papier » (au cours de nos réunions mensuelles de l’association Métamorphoses à Vallauris[6]).

Cette expérience a été suivie d’un entretien d’explicitation enregistré et retranscrit afin de déterminer à quel(s) moment(s) des séquences d’anticipation avaient pu émerger.

Les données ainsi recueillies nous ont conduits à élaborer de nouvelles expériences, mises en œuvre au cours des années 2008 à 2010.

 

2. Une première expérience d’anticipation avec des ciseaux et du papier.

 Nous donnons le détail du protocole de cette expérience dans l’Annexe 1 ci-après. Dix entretiens ont été conduits, retranscrits et analysés par les membres du groupe de recherche Métamorphoses.

Nous proposons d’examiner l’une de ces retranscriptions d’entretien ayant immédiatement suivi cette expérience «  ciseaux et papier ». Elle va nous fournir de nombreux points de départ pour notre analyse du processus d’anticipation.

 

Entretien d’explicitation de M. (sujet) avec C. (qui questionne), suite à un exercice proposé qui vient d’être réalisé par M.

Note : M. n’a pas eu connaissance de la « solution » 

Cette expérience consistait à regarder un collègue présentateur en train de réaliser une série d’actions avec une feuille (pliages, entailles) et de demander ensuite de dessiner, sur une feuille blanche donnée à cet effet aux sujets, les axes de pliage observés ainsi que le résultat des entailles (voir Annexe 1).

 

1.    C : « Bon alors M., si tu es d’accord, nous sommes donc le 17 mai, tu viens de réaliser une tâche donnée par (le présentateur) et pour laquelle moi, si tu es d’accord, je vais te questionner. Bon sachant que je te pose des questions, tu réponds si tu veux et si tu ne réponds pas, je ne te demanderai pas pourquoi. Voilà. »

2.    M : « D’accord. »

3.    C : « Alors, donc au moment de l’expérience, est-ce que tu peux me dire ce que tu as vu faire en premier par (le présentateur) ? »

4.    M : « Heu ben d’abord, il a pris une feuille, une feuille blanche, format, petit format, moitié d’une feuille A4 et puis il a dit, je sais plus quoi exactement mais donc il  a dû commenter «  Regardez, je prends une feuille de ce type-là » et il a dû commencer à enchaîner et commenter une série d’actions »

5.    C : « Alors quelle est la première action qui te revient, et peut-être le commentaire avec, je sais pas ? » 

6.    M : « Ben d’abord, il a dit donc, heu, « Regardez, je prends cette feuille », heu, il l’a pliée et après il a ajouté « Je la plie  par le milieu », et ensuite il a continué, il a replié la feuille, ça fait qu’elle était pliée en 4, et là il a dit  « Maintenant je prends des ciseaux et je fais une entaille » et puis il s’est exécuté, il a fait une entaille. »

7.    C : « Juste à ce moment-là, est-ce que tu vois dans quelle main il tenait les ciseaux ? »

8.    M : « Heu … » (12 secondes pendant lesquelles M. défocalise plusieurs fois son regard).

9.    C : « Tu vois peut-être la couleur des ciseaux ? »

10.          M : « Heu non, je suis parasité par le ciseau qui a la même taille que celui que j’ai chez moi et je vois la couleur de celui que j’ai chez moi. Non je vois pas, mais il l’avait dans la main droite je crois, il tenait la feuille de la main gauche et  il a commencé son entaille… »

Un premier savoir-écran rend difficile l’évocation de ce matériel, et le retour au contexte (main tenant le ciseau et main tenant le papier permet d’enclencher sur l’action de découper la feuille) :

11.          C : « Alors il s’y prend combien de fois pour faire son entaille ? »

12.          M : « En 2 fois, il y avait 2 mouvements différents »

13.          C : « Et qu’est-ce qui te revient toi à ce moment-là, tu pensais quelque chose, tu t’es dit quelque chose ? »

14.          M : « Heu au moment où il coupe, non je crois pas, parce que je sais que quand il pliait je me disais « Bon là il plie en 2, là il plie encore ».

Le sujet se donne une description intériorisée pour mémoriser ce qui se passe dès le début de l’expérience, le pliage de la feuille.

15.          C : « Tu t’es donné des repères, comment dire, de positionnement de la feuille, quand il pliait en 2 ? »

En fait, le sujet anticipe que l’on va lui demander d’expliciter, puis abandonne cette idée :

16.          M : « Non non, parce que c’était assez simple, il pliait en 2 à chaque fois et je me suis dit à un moment donné… En fait j’avais l’impression que je me répétais les choses parce que je savais qu’il y allait avoir de l’explicitation et après je me suis dit  « ça sert à rien que tu te le répètes car de toute façon il te reviendra ce qui te reviendra si on te fait expliciter là-dessus » donc c’est ce que j’étais en train de me dire »

17.          C : « Avant l’entaille ? »

18.          M : « Oui, avant l’entaille »

19.          C : « Et donc là, il a pris les ciseaux, dans la main droite, et il tenait la feuille dans la main gauche et il a fait deux mouvements d’entailles, enfin, deux entailles »

20.          M : « Ouais »

21.          C : « T’as vu quelque chose au niveau des entailles, je veux dire au moment où il les faisait sur la feuille, qui te revient? »

22.          M : « Oui je me rappelle du premier coup de ciseau qui devait monter comme ça » (mime le mouvement)

23.          C : « T’as vu le deuxième ? » (M poursuit sur son idée)

24.          M : « Et quand il est arrivé au bout, il a enlevé et il a fait la deuxième (entaille) pour faire une entaille totale qui ressemblait à un triangle »

25.          C : « Donc là tu t’es dit « Entaille triangle » ?»

26.          M : « Non je me suis pas dit ça, je me suis pas dit « Entaille triangle », j’ai simplement pris acte de ce à quoi ça ressemblait mais je me suis pas dit le mot triangle».

27.          C : « Donc tu avais une image ? »

28.          M : « Une image …»

29.          C : « D’un triangle ? »

30.          M : « Oui, en creux puisque c’était une entaille».

Le sujet a enregistré une forme, une entaille en creux, sans y mettre de mots.

31.          C : « Et qu’est ce qui te vient après, quand il a eu terminé ces deux entailles, en creux donc ?»

32.          M : « Après ça il a, il a posé les ciseaux je crois, et il a pris des feuilles et nous en a distribué à chacun. Il a dû commencer par toi, puis une à Luc, une à moi, et c’est là qu’il a donné la consigne de ce que l’on devait faire »

33.          C : « Et donc la consigne, telle qu’elle te revient ».

34.          M : « Il demandait de marquer sur la feuille…, j’écoutais pas exactement parce que en même temps qu’il parlait je crois que je devinais déjà ce qu’il voulait demander plus ou moins mais j’ai, parce que je sais que j’ai raté une information après coup qu’il aura répété quand je lui ai rendu la feuille mais, en fait il demandait que l’on reproduise sur la feuille la forme de ce que l’on pouvait obtenir quand on allait déplier sa feuille suite à l’entaille qu’il avait réalisée. Et il a ajouté, et c’est là que j’ai pas écouté exactement, qu’il fallait aussi tracer les traits… » (C le coupe)

35.          C : « Mais alors ça tu le sais pas encore au moment où tu retrouves ce qu’il dit ? »

Durant l’audition de la consigne donnée par l’expérimentateur, le sujet commence déjà à anticiper une réponse en essayant de « deviner » ce qui allait lui être demandé, ce qui peut provoquer une perte d’information, phénomène connu en pédagogie…

36.          M : « En fait je l’entends mais je l’analyse pas, quoi. Consciemment ce qui me vient c’est de reproduire la figure. »

37.          C : « Donc à ce moment là » (interruption de M. qui poursuit son idée)

38.          M : « Parce que en fait dans ma tête, au moment où il le dit, j’étais en train déjà de tenter mentalement de déplier la feuille et de voir ce que ça donnait. Du coup, j’ai pas entendu, enfin j’ai entendu mais sans analyser consciemment la fin de la phrase qui disait de tracer aussi les axes des plis de la feuille ».

En entendant la consigne, le sujet se fixe un but, qui ne coïncide pas complètement avec ce qui est demandé en fait. Son action mentale a déjà commencé.

39.          C : « Et alors donc au moment où tu étais déjà en train d’essayer déjà de déplier la feuille pour toi, donc t’avais une feuille devant toi ? »

40.          M : « Oui, mais je regardais (le présentateur), je regardais sa feuille qu’il tenait encore et avec le trou du triangle, et mentalement je commençais déjà à… »

41.          C : « Alors qu’est ce que t’as fait là mentalement ? »

42.          M : « En fait il tenait la feuille de telle sorte que, comme elle était pliée en 4, les deux morceaux ils étaient vers sa droite, donc déjà dans ma tête je réalisais le premier dépliage qui rouvrait la feuille en 2, donc tout de suite dans ma tête je voyais que ça faisait un triangle sur la partie droite et un autre sur la partie de gauche. »

43.          C : « Hum hum. »

Le sujet évoque précisément ce qu’il a fait dans sa tête, ses actions mentales (avant cet entretien, il n’a pas eu connaissance du résultat de la manipulation, pour éviter toute interférence).

44.          M : «  Parce qu’en fait, voilà, au début au moment où j’étais en train de le réaliser, dans ma tête il me venait voilà, c’est une étoile, ça va faire une étoile au centre. »

45.          C : « Ça c’est la première chose que t’as vu, c’est… étoile. Une étoile… » (M   coupe)

46.          M : « Ben parce qu’au moment où j’ai vu le triangle j’ai pensé au truc qu’on fait…, qu’on fait faire aux gosses, qu’on coupe et quand on déplie ça fait des figures. Il m ‘est venu l’image d’une étoile parce que j’avais l’impression que c’était un truc qu’on pouvait faire… » (C interrompt M)

Le sujet indique qu’avant de voir mentalement deux triangles, il avait envisagé qu’il pourrait s’agir d’une autre forme, une étoile, s’appuyant sur un vécu antérieur (une étoile comme on fait aux gosses) qui va lui permettre aussi de critiquer cette vision d’étoile :

47.          C : « Mais une étoile à combien de branches ? »

48.          M : « A quatre branches, donc ça aurait fait 4 triangles, et il m’est venu ça tout de suite. Je me suis dit, « Tiens c’est le truc classique qu’on fait aux gamins, y a un triangle et on déplie, tac, ça fait une étoile. »

49.          C : « T’as déjà fait ça ? »

50.          M : « J’ai pas pensé aux gamins mais j’ai pensé à cette activité. »

51.          C : « Donc ça a été “étoile à 4 branches” d’abord » (M interrompt à son tour en poursuivant son idée)

52.          M : « Je sais pas si je l’ai déjà fait mais je l’ai déjà eu vu ou… »

53.          C : « Etoile à 4 branches ! »

54.          M : « Etoile à 4 branches. »

55.          C : « Là tu regardais toujours (le présentateur)? »

56.          M : « Oui, et, en me disant ça, en regardant la feuille, je me suis dit, «Mais non c’est pas possible » parce que vu que, si je prends un petit carré, si on considère que c’est plié en 4, juste une petite partie, l’étoile elle est au milieu donc ça pouvait pas partir du centre. Parce que le triangle, il venait pas sur le centre.»

57.          C : « Attends j’ai pas bien compris. Tu t’es dis à ce moment là « Etoile mais c’est pas possible… »

58.          M : « En fait je me suis dit « c’est pas possible » parce que vu la base du triangle où elle est… »

59.          C : « Ah, la base du présentateur ».

60.          M : « La base du présentateur ! … elle ne correspondra pas avec le milieu. »

61.          C : « Ah d’accord là tu te dis ça !» 

62.          M : « Parce que mon triangle tel que je le voyais au début, et ben forcément la base elle était au milieu de la feuille. »

63.          C : « Et là tu te dis non, vu où il a mis… »

64.          M : « Là je réalise que la base, elle est pas au milieu de la feuille. »

65.          C : « Elle est pas au milieu, tu te dis ça »

66.         M : « Donc je me dis « Non c’est pas ça » donc laisse tomber ton idée qui était préconçue en fait »

67.          C : « Ouais »

68.          M : « Et là je me remets à faire le dépliage mental donc je reprends le temps de voir qu’il y a deux triangles sur chaque petit morceau et là je tente le dernier dépliage et… ça flotte un peu parce que je crois que j’ai à la fois cette image d’étoile qui reste encore un peu avec aussi cette idée de « Non c’est pas ça,  donc réalise une autre opération mentale » et là d’un coup je réalise, tac, si le triangle part sur l’autre moitié, quand on va déplier du haut vers le bas ça va me faire 2 hexagones, heu 2 losanges sur chaque partie donc ça y est j’ai pris ma feuille et je l’ai fait. »

 

PREMIERE ANALYSE :

Les études sur le processus d’équilibration cognitive indiquent que l’atteinte d’une solution passe par des étapes successives de solutions partielles et donc imparfaites car se centrant sur un aspect particulier des données, et qui en négligent d’autres. Ces solutions partielles doivent être dépassées par un nouveau déséquilibre, un examen critique de la solution provisoire, jusqu’à tenir ensemble toutes les données de la situation pour la solutionner. C’est ce que M. a fait.

Le sujet a ainsi abandonné l’idée selon laquelle la feuille dépliée donnerait à voir une étoile. Il est reparti de l’idée d’une « base » qui n’est pas au centre de la feuille pour reprendre son « dépliage mental » avec deux triangles qui donnent deux losanges quand la feuille est dépliée.

L’anticipation, en ce cas, a donc été un processus reposant sur plusieurs actions mentales complexes :

   L’attention portée au déroulement physique de l’expérience et mémorisation des données.

   L’attention portée aux consignes.

   Une première solution («étoile ») en relation avec un souvenir ou une action antérieure (découpage avec des enfants).

   La mise en doute de cette première solution car elle ne cadre pas avec la position évoquée de l’entaille dans la feuille et action mentale de « dépliage de la feuille ».

   Une reprise du processus avec deux éléments qui coexistent un moment et poursuite de l’action de déplier mentalement et apparition de la solution des deux triangles (avec peut-être un passage de l’étoile à deux hexagones pour en venir aux deux losanges, réponse correctement dessinée ensuite).

    En conclusion, nous pouvons examiner ce processus comme une succession de rappels, avec atteinte d’un équilibre partiel, suivi d’une remise en cause  de la première solution par une action mentale. (Parfois, cette première solution n’est pas remise en cause, elle est maintenue comme nous allons le voir).

 

       Nous avons par la suite fait varier la formulation de la consigne pour en voir l’effet. Par exemple, nous avons effectué l’expérience avec des personnes en leur remettant simplement une feuille et un crayon après la démonstration du découpage. Nous avons ainsi vu émerger des constantes recoupant les remarques ci-dessus. Nous donnons quelques extraits de retranscriptions d’entretien l’illustrant.

1° Le contexte vécu au moment de l’expérience peut influer sur l’anticipation : ainsi une personne nous dira avoir perçu comme « un rictus » sur le visage du « présentateur » quand il a découpé la feuille et avoir porté ensuite peu d’attention à la consigne, car occupée à « déchiffrer » ce rictus. Elle fournira par la suite une réponse erronée avec le dessin d’un losange au milieu de la feuille (au lieu de deux losanges).

       Autrui fait donc partie du contexte de l’anticipation et peut induire des conduites involontaires qui demeureraient insoupçonnées sans explicitation.

Les connaissances antérieures interviennent dans la constitution de l’espace mental : la personne « E » a vu « un pliage » et s’est dit « ça va être de la géométrie !». Ainsi :

1) –      B « D’accord. Donc à partir du moment du début de la chose est-ce que tu as pensé à certaines choses pendant que tu as observé ce tu faisais ? »

2) –      E « Euh, au niveau de l’évocation, non. Au niveau de la symbolique non plus. Je suis resté, j’ai eu le, le, j’ai eu, enfin ce qui m’est venu par rapport à mon vécu, c’est que ça partait sur quelque chose de géométrique… Donc je me suis dit, « Restons très attentif parce que d’une façon ou d’une autre il va s’agir de géométrie ». Le fait qu’il y ait le ciseau qui sorte, évidemment dans la durée de la « performance » entre guillemets, je n’avais pas idée de la durée, parce qu’en fait après les deux entailles de ciseaux, il aurait pu enchaîner sur n’importe quoi d’autre. Donc moi j’ai pointé une entrée géométrique quelque part, ne sachant évidemment pas du tout, je n’avais même pas idée qu’il nous demande quelque chose, de toute façon. Donc je me suis dit : « Il part sur des découpages, enfin un découpage de formes géométriques ». Et donc je suis resté très vigilant sur cette chose-là. Ça ne m’a pas évoqué quelque chose de particulier. »

3) –      B « Et quand tu dis « géométrique », je ne sais pas, tu as vu quelque chose, ou tu t’es dit quelque chose, ou tu as ressenti quelque chose, à ce moment-là, quand tu t’es dit « ça va être quelque chose de géométrique » ?

4) –      E « J’ai essayé, comme je me doutais bien qu’à moment donné on allait être mis à l’épreuve d’une façon ou d’une autre, je me suis dit : « Bon, quelles sont mes compétences en matière de géométrie par ailleurs ? ». Donc j’ai vu que j’avais… J’ai pris deux feuilles de papier à petits carreaux que j’affectionne particulièrement, parce que ça permet d’avoir des graduations ou de les fabriquer vite, même si on n’a pas de règle ou d’objets de mesure, on peut faire un objet de mesure avec ça. Et donc quand il nous a demandé de reproduire sur le papier les traits, etc, j’ai vu de suite que j’avais à ma disposition mes propres papiers que j’avais déjà pliés pour faire comme un petit livret de quelques feuilles. Ça m’a servi de règle, voilà. J’ai très souvent l’habitude d’utiliser des bouts de papier pliés à usage de règles quand j’en ai pas, et au niveau de la graduation je m’en suis quand même servi. Je suis resté si tu veux au niveau de quelque chose de très, de très … pratiquement modélisation mathématique, quoi. »

5) –      B « Qu’est-ce que tu as fait en premier, alors, avec cette feuille graduée ? »

6) –      E « Alors, donc, avec la feuille graduée, je m’en suis servi donc comme d’une règle puisqu’il nous a demandé de reproduire sur le papier, avec un stylo ou un crayon, la trace que les pliures sont censées laisser une fois qu’il aura peut-être déplié le papier dans un temps futur. Donc pour moi il a d’abord plié la feuille une première fois, ensuite une deuxième fois, donc pour moi c’est la représentation de la croix. Très rapidement j’ai utilisé la feuille donc pliée en deux, peu importe, j’ai donc retracé une première ligne pour séparer la feuille en deux, j’ai retourné la feuille dans les autres dimensions, et j’ai fait la même chose, j’ai donc créé une croix (représentation des plis). Après je me suis posé la question évidemment : qu’est-ce qui pourrait bien, hum, qu’est-ce qu’on pourrait bien représenter l’entaille en triangle qu’il avait faite, donc la découpe avec les ciseaux, et je me suis dit que le triangle une fois déplié allait donner un losange. Alors ça tombe bien pour moi, parce que j’adore le losange. C’est pour moi une figure, quelque chose qui me passionne beaucoup depuis quelque temps. »

7) –      B « Tu te l’es dit à ce moment-là ? »

8) –      E « Ah je me le suis dit, ouais ouais ouais ! Le losange, c’est une forme… il y a quatre ans j’ai fait une série de tableaux en infographie… Ces tableaux sont sortis du chapeau de l’ordinateur. Et ces tableaux sont restés jusqu’au mois de mars de cette année, ils sont restés positionnés en tant que carrés. Et j’ai eu une intuition, donc j’ai basculé le carré, pointe en bas, et donc c’est devenu un losange. Et là ça a tout changé, parce que ce tableau a été chamboulé, chamboulé dans le bon sens, c’est-à-dire ça m’a permis à moi d’aller dans quelque chose d’encore plus profond. Donc quand j’ai vu le triangle, je sais que le triangle, alors je ne sais pas si ce sera le résultat sur la feuille découpée, mais moi ce que j’ai dans le triangle, le triangle déplié donc, donc doublé, donnait un losange. Donc pour en revenir à ma feuille de papier, comme je m’étais entraîné il n’y a pas longtemps à dessiner des losanges à main levée, des cercles et des losanges, des carrés dans le cercle et des losanges dans le carré, j’ai rapidement pointé le centre de la feuille qui était donc une croix, et j’ai réalisé, en me servant de l’autre feuille quadrillée, un losange plus ou moins carré. » 

DEUXIEME ANALYSE :

 Ce sujet a donc anticipé un but générique (de la géométrie), la constitution d’un outil (une règle de papier), le tracé des lignes représentant les plis de la feuille de démonstration. Il a placé au centre de cette « croix » « le triangle déplié » donnant un losange si l’on déplie la feuille de papier. Cet effet de centration le conduit à négliger la position du triangle qui donnera en fait deux losanges une fois la feuille dépliée.

Nous avons donc l’influence d’actions antérieures et de connaissances ou de savoirs-écrans sur la formation du contexte mental, avec des schémas de pensée prégnants dont il est difficile de prendre conscience et qui mettent en place des modes d’action ne répondant pas complètement ou exactement à une situation nouvelle à anticiper[7]

En toute hypothèse, l’anticipation se nourrit donc du passé sur lequel elle prend appui. Est-il possible à partir de là de construire une « mémoire du futur anticipé» ? C’est ce que nous examinerons dans la dernière partie de cet article.

Auparavant, nous exposons les autres expériences qui nous ont paru pouvoir éclairer ce processus d’anticipation.

 

3. Autres expériences et résultats dont les protocoles retranscrits en intégralité ont servi notre réflexion :

Après les exercices « ciseaux et papier » en 2007, nous avons fait les expériences « magie », en mars 2008, « anticipation de la situation économique en septembre 2009 » et « retour chez soi » en mars 2009. Les expériences et les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits  par les membres du groupe.

 

3.1. L’expérience « magie » (Expérimentation sur l’anticipation avec comme support un tour de magie).

[N.B. Dans le texte ci-dessous, les astérisques (*) signalent des moments d’attente, de surprise, d’anticipation, que la personne qui questionne peut s’attacher à questionner.]

Le présentateur introduit l’expérience en demandant aux participants d’être attentifs à ses paroles et à ses gestes : il va faire un tour de magie. *

Il enchaîne aussitôt en rappelant que c’est l’anniversaire de J.*, et il invite chacun(e) à sortir un billet de banque.*

Le présentateur hésite entre un billet de 10€ et un de 20€, et il prend finalement celui de 10€ que quelqu’un lui présente. Il explique que chacun(e) va mettre sa signature sur le billet* et qu’il va commencer lui-même.

Il prend un stylo et alors qu’il se met à écrire, le stylo transperce le billet de part en part.*

Le présentateur semble perplexe tout en tentant de rassurer le propriétaire du billet*… Finalement, il retire le stylo et le billet se révèle être parfaitement intact.* Il fait ensuite circuler le billet et le stylo.

Personne ne comprend « le truc » qui permet de faire croire que le billet est percé, puis de le retrouver intact.

De notre point de vue, un tour de magie comme support a plusieurs avantages :

       Les participants ne se sentent pas – comme cela a pu être le cas dans d’autres « exercices » – soumis à une évaluation ou à un jugement de valeur portant sur leurs compétences ou leurs capacités (mauvais souvenirs de situations en milieu scolaire).

       Dans l’entretien d’élucidation qui s’ensuit, le questionnement sur le déroulement chronologique des actions peut être réduit au minimum en fonction du choix du moment à questionner.

 

3.2. L’anticipation économique.  

L’expérience suivante consiste à demander à tous les participants d’écrire leur réponse à la question :
“Comment vivez-vous la crise ?”

         Le point majeur à retenir ici est que le facteur ayant eu le plus d’influence sur les réponses a été celui de l’âge des participants. En effet, selon leur génération (moins de 30 ans, 30 à 50 ans, plus de 50 ans) et le fait qu’aucun des participants de plus de 30 ans ne soit actuellement au chômage, les réponses ont différé nettement :

       Moins de 30 ans : « Quelle crise ? On a toujours vécu dedans alors !?! »

       30 à 50 ans : Ils ont ou trouvé un nouvel équilibre (par rapport à des contextes d’enfance ou d’adolescence), ou ont su s’adapter à de nouvelles conditions de vie.

       Plus de 50 ans : Ils ont eu tendance à se référer à un passé – plus étendu – qui a résulté en des certitudes voire des savoirs-écrans !

 
3.3. Le « retour chez soi ». Voici la consigne :

Les réponses écrites sont alors collectées (8), et des entretiens (4) sont organisés pour expliciter le processus de réponse.

Voici un exemple de réponse écrite : 

« – Je reconnaîtrais mon domicile par rapport au chemin que j’aurai parcouru pour l’atteindre.

– Pour l’identifier j’utiliserai les points de repère qui me permettent de l’identifier (visions).

– Il fera nuit, mon chien aboiera avant que je me gare, mes filles seront dans leur chambre après avoir dîné et elles auront fait leurs devoirs.

– Je serai fatiguée de ma journée car j’ai fait beaucoup de voiture aujourd’hui.

– Dans le noir, je mettrai la clé dans le trou de la serrure et j’utiliserai mes doigts pour la localiser. J’annoncerai haut et fort que je suis rentrée, je dirai bonne nuit à mes filles et si j’ai le courage je mangerai quelque chose et irai me coucher vite fait !

– Ouf ! Encore une journée de plus qui vient de passer et demain ça recommence. »

L’analyse des réponses et des protocoles nous suggère que lors d’une explicitation en questionnant “l’ante action”, nous questionnons peut-être, en fait, l’anticipation que s’est forgée le sujet au moment où il a envisagé son action.

 

3.4. Discussion à partir des protocoles d’entretien :

ü     Dans la première expérience de découpage (« ciseaux-papier »), il existe une réalité objective, avec la possibilité d’évaluer tout de suite la réponse en dépliant la feuille de papier qui a été découpée.

ü     Dans la seconde (« magie »), il n’existe pas de certitude immédiate, mais un effet de surprise et d’interrogation, un désir de comprendre ce qui se passe, ou non (tout le monde n’ayant pas la même position face à un tour de magie).

ü     Dans la troisième (« économique »), même si nous disons que « le déroulement des événements sera sans doute différent de nos anticipations », ceci est encore une anticipation qui devra attendre sa vérification par les faits. Il n’existe pas non plus de « vérité » des faits sociaux une fois qu’ils seront advenus, car tout un chacun les interprétera en fonction de son système de valeurs et de croyances, et de sa classe d’âge. (Est-ce alors autre chose qu’un « jeu de langage », qui n’est pas possible dans le cas des « ciseaux », où le résultat est certain, sans alternative ?).

PREMIERE CONCLUSION :

1.    Nous anticipons en fonction de ce que nous avons déjà vécu.

2.    Les anticipations peuvent être fonction de compétences cognitives ou de la prégnance de certaines centrations 

3.    Nous observons un effet de génération ou de classe d’âge. 

4.    Nous possédons la faculté de nous projeter dans le passé et de nous y voir agissant, et agir pour continuer le cycle (conscience autonoétique).

         Dans les retranscriptions, nous avons par exemple l’évocation de situations génériques (« Chaque premier avril au bureau nous découpions dans les listings des ribambelles de poissons que nous faisions passer de bureau en bureau ») qui constituent un premier élément de sens auquel le sujet relie l’expérience de découpage en cours (cf. expérience ciseaux et papier).

        

         Selon nous, il conviendrait de distinguer :

       Intention (on anticipe toujours pour quelqu’un, soi seul ou soi et l’autre). Il existe donc une position initiale à expliciter dans chaque exercice, et une visée à élucider.

       Prévision (application d’un modèle, comme en météo, qui n’a pas d’effet objectif).

       Prédiction (annonce selon certaines règles d’un événement qui doit arriver ; et dire à quelqu’un ce qui va se passer va avoir un effet d’induction, positive ou négative).

       Hypothèse (en langage usuel, une “supposition” : en fonction des informations disponibles, un effet est attendu ; une observation ou une expérience va confirmer ou invalider l’hypothèse, la supposition).

        Imagination (à partir d’un point de départ, la pensée procède par associations, dérivations, etc…, bref par réorganisation ou création).

 

L’anticipation relève d’un processus complexe mettant en jeu plusieurs aspects du fonctionnement que nous avons relevés précédemment :

       Il existe des effets d’attente dépendant des croyances de la personne, produisant une intention, une recherche de but, une motivation, un état émotionnel…, et du contexte dans lequel s’effectue l’échange.

       Il existe des effets perceptifs (de par la place physique que la personne occupe en tant qu’observateur).

       Il existe des effets de l’attention (le « rictus », un chat qui passe…).

       Il existe des effets de mémoire (l’expérience appelle des vécus antérieurs ; la mémoire épisodique fonderait donc la conscience autonoétique).

       L’ensemble correspond à l’expression de la « cohérence » de la personne, avec son versant « ressenti » et émotion. L’anticipation est engagement de l’être, avec ses capacités, ses croyances, ses valeurs, sa culture.

Nous dirons donc que, de la même façon que nous ne pouvons pas ne pas avoir de comportement, il est impossible de ne pas anticiper. Il s’agit donc d’un processus central à prendre en compte dans toute démarche thérapeutique se voulant constructive. Ce constat soulève plusieurs questions que nous allons tenter d’organiser.

4. Questions et remarques : l’anticipation = moteur de l’action.

4.1. Questions théoriques :

A. Anticiper est un acte quotidien : « Quelque chose de vague qui émerge au fil de l’action, qui se précise », comme le décrit l’un des participants. Les points de vue pour le décrire peuvent être multiples, philosophique, psychologique, sémantique…[8]

B. Peut-il y avoir une décision sans anticipation ? De fait, notre corps et notre cerveau montrent un fonctionnement “pro-jectif” si l’on peut dire, c’est-à-dire formulant en permanence des hypothèses, des conjectures… ou faisant des paris, des supputations. Grâce à l’anticipation, nous pouvons imaginer de nouveaux points de vue, créer un sens nouveau pour une situation (recadrage), envisager des actions innovantes. Sur le plan cognitif, peut-on parler alors de « schèmes anticipateurs », ou de « modèles internes d’anticipation » ? À ce stade, la question reste ouverte.

C. Apprend-on à anticiper ? Ou bien est-ce inné (Les neurones miroirs[9]) ? Ou les deux, vraisemblablement ? En tout cas, la psychologie du développement apporte des arguments en faveur d’une capacité précoce du bébé de pouvoir se projeter dans le futur. On peut l’envisager comme une connaissance « en acte » guidant l’activité sensorimotrice dans les échanges avec le milieu, dès la naissance (il ne s’agit pas bien sûr d’un soi identifié, de construction plus tardive). Daniel Stern[10] a mis en lumière les liens existant entre la mémoire d’évocation des nourrissons et la capacité « de créer des anticipations de représentations d’événements futurs possibles » (op. cit., p. 156).

L’anticipation devrait dès lors être vue comme un processus adaptatif essentiel. 

En effet, dans son mode relationnel en construction, « si l’enfant ne peut pas faire une prédiction ou élaborer une réponse instrumentale pour prendre en compte la prévision, l’incertitude et la détresse en résulteront ». Dans le même sens, chez le bébé, l’anticipation déçue se voit à sa réaction de surprise.

Que passe-t-il quand la capacité à anticiper dysfonctionne ?

Exemple : Peu de souvenirs d’un « certain » passé  va entraver la projection dans le futur.

Pour notre part, nous avons souvent observé ce type de  dysfonctionnement dans des troubles comme la dépression bien sûr, mais également dans la volonté de tout contrôler, ou de penser à la place de l’autre…

Selon Van der Linden[11], « la difficulté observée chez les patients diagnostiqués schizophrènes de se projeter mentalement dans le passé et le futur pourrait être en lien avec une perturbation du  sentiment de continuité de soi dans le temps. La projection dans le passé et dans le futur fait  fortement appel à l’imagerie visuelle (considérée comme un langage privilégié des buts) et  possède une composante émotionnelle importante. Ainsi, la simulation mentale de situations émotionnelles constituerait également un moyen d’aider à prendre des décisions adaptées et  elle jouerait un rôle dans la régulation émotionnelle ainsi que dans la construction et le maintien d’une image positive de soi. » Aussi, permettre à toute personne qui consulte de canaliser de façon positive, créatrice, ses processus d’anticipation, afin de passer de la souffrance ou de la confusion à un dessein qui lui est propre, ou qui lui soit propre, et l’expérimenter : voilà une définition correcte d’une thérapie constructive.

« Passer à un dessein qui lui est propre », cela signifie que la personne avait un dessein avant de consulter, même flou, qu’il faut l’aider à “canaliser”. « Passer à un dessein qui lui soit propre » signifie que l’aide portera autant sur la construction du dessein propre au patient, sur le processus d’anticipation, que sur la canalisation de celui-ci qui est déficient. [12]

Pour y parvenir, quelles sont les questions pratiques à résoudre ?

4 .2. Questions pratiques :

4.2.1. En explicitation :

L’ « action » implique des actions physiques et mentales, l’anticipation des processus mentaux… Le praticien constructif devra donc se former pour pouvoir répondre aux demandes suivantes :

– Repérer et observer les moments spécifiques relatifs au processus d’anticipation : les moments d’anticipation et ceux d’action se manifestent-ils de façon différentes ? En quel sens ? Sont-ils à questionner différemment ? Et comment ?

– En quels termes installer un contrat de coopération entre A (questionné) et B (interviewer) dans un entretien d’explicitation de l’anticipation ?

– Quand et comment, au cours de l’entretien, quitter le questionnement de l’action pour aller vers l’anticipation ?

 

Proposition : Pour donner un exemple de réponse concrète, disons que nous avons repéré deux portes d’entrée pour questionner l’anticipation :

1)   – Tout d’abord, nous pouvons employer la « fragmentation »[13] dès qu’un élément d’anticipation apparaît dans les réponses de l’interlocuteur. Nous questionnons alors directement cet élément, en accompagnant la personne pour qu’elle le déplie et puisse ensuite y apporter une légère variation qui réorganisera son futur.

Exemple  « Vous dites qu’en arrivant devant votre salle de classe, vous vous voyez aller vers la porte, entrer d’un pas déterminé en regardant les élèves (assis ou non !) et poser votre cartable sur le bureau. Si vous deviez introduire une légère variation, laquelle pourriez-vous introduire ? »

  Un « bonjour » cordial s’est avéré avoir changé juste ce qu’il fallait à l’atmosphère de la classe ; ce qui permis à ce professeur de restaurer un équilibre qui avait été rompu lors du cours précédent.

2) – Il est possible de procéder à l’inverse en posant d’abord des questions directes sur le processus que la personne anticipe : – « Est-ce que vous anticipez alors le résultat ? – Lequel ? – Comment ? – Que se passerait-il pour vous, l’autre (ou les autres) » et de revenir sur la séquence où tout pourrait « basculer » ?

Ainsi d’une personne venue consulter, avec un très fort désir de vengeance, après un choc émotionnel, dont elle tenait l’autre pour entièrement responsable.

    En l’accompagnant, sans aucun jugement ni commentaire, mais en l’aidant à anticiper les suites éventuelles d’une vengeance et en fragmentant l’ante action de la séquence où elle se voyait passer à l’acte, cette personne a pu réorganiser son futur sans conséquence fâcheuse ni pour elle, ni pour l’autre mais avec une perspective d’action plus constructive et apaisante.

 

4.2.2. En thérapie constructive :

Sans doute nous appuyons-nous en thérapie sur un processus on ne peut plus naturel et spontané : combien de temps passons-nous chaque jour dans des interactions imaginées qui sont soit des souvenirs, soit des fictions d’événements à venir ?

Quand nous proposons une anticipation (par exemple, demander à une personne de dire ou d’écrire comment elle se voit dans cinq, ou dix ans), déclenche-t-on une ou des évocations ?

Nos expériences semblent montrer que c’est le cas. Que provoque-t-on ? Nos recherches montrent que pour anticiper, l’évocation est un passage spontané, même s’il paraît fugace parfois, la projection dans le futur s’appuyant sur le passé. Aussi la démarche thérapeutique provoque-t-elle, par la proposition d’une « expérience à mettre en œuvre », la mise en branle d’évocations qui sont autant de points de départ pour s’aventurer dans le futur en pensée d’abord, en acte ensuite.

     Dans plusieurs démarches thérapeutiques, il est question de proposer que la personne se projette dans le futur avec des séquences différentes.

       En P.N.L., il est question de « pont vers le futur ».

       Dans les thérapies « orientées vers la solution », il est habituel de supposer le problème résolu, de poser une « question miracle », etc…

Il est clair que ce genre de proposition doit correspondre suffisamment à la cohérence[14] de la personne.

L’anticipation présuppose un but, celui de la personne (en tant que finalité : « J’aimerais que mon fils me sourie le matin quand il se lève »), du thérapeute, ou un but concerté entre eux deux. Comme l’évocation permet de s’informer et de s’auto-informer, l’anticipation contribue à la réalisation du but en tant que « mémoire du futur ». Nous avons des exemples issus de la pratique depuis que nous nous intéressons à cette question, comme nous allons le voir.

5. Questions et remarques : l’anticipation = moteur de l’action.

Comme nous l’avons peu à peu réalisé, grâce à notre pratique en thérapie constructive, la solution peut émerger de propositions d’actions qui entraînent un changement dans l’orientation de l’attention que la personne qui consulte  porte à son symptôme. Il s’agit donc pour le thérapeute de proposer une expérience à mettre en œuvre concrètement et qui participe de cet objectif.

Une expérience doit pouvoir être mise en œuvre avec plusieurs personnes présentant la même difficulté annoncée pour avoir une valeur autre qu’un heureux hasard. L’expérience qui va suivre a donc été proposée à plusieurs reprises, et par des thérapeutes différents, avec le même résultat bienfaisant. Autrement dit, thérapeutes et « personnes qui consultent » ont accompli davantage qu’une suite d’actions. Nous pouvons dire qu’ils ont réalisé une création inédite à dater de laquelle « l’histoire du comportement est qualitativement modifiée », pour reprendre le mot de Merleau-Ponty.

La particularité de cette expérience est d’avoir été d’abord « accomplie » en pensée par la personne qui consultait. Chacun des gestes et mouvements a été anticipé de façon précise au cours de la séance. Les éléments descriptifs du contexte et les actions à mener ont été minutieusement verbalisés. Le but explicite étant d’apprendre, par anticipation, à se déplacer d’une façon particulière  et le but implicite étant d’avoir un effet régulateur sur le sommeil.

Voici le compte-rendu de la séance au cours de laquelle l’expérience a été proposée pour la première fois.

Un homme, presque quinquagénaire, se présente avec de graves troubles du sommeil. Il dit avoir « décompensé » gravement après une période de tensions intenses dans son travail de cadre. Il décrit cette période comme faite de « pressions à faire sortir la moelle des os » en fonction d’objectifs inatteignables imposés par le management supérieur. Il en a développé des hallucinations, etc… 

Le thérapeute se rend compte, au fil du dialogue, que la perception du réel chez cet homme est effectivement perturbée.

Compte tenu de l’importance du sommeil dans l’équilibre psychique ainsi qu’il lui est expliqué, ils tombent d’accord pour traiter tout d’abord l’insomnie.

Deux outils sont à la disposition du thérapeute pour mener ce premier entretien : l’entretien d’explicitation et les prescriptions paradoxales telles qu’envisagées par l’approche interactionnelle[15].

L’explicitation de la dernière nuit d’insomnie de la personne va apporter les éléments de contexte et d’action nécessaires au thérapeute pour savoir comment ce monsieur à tenter gère ses réveils intempestifs qui l’angoissent de plus en plus (que nous appelons « tentatives de solution ») et trouver une nouvelle voie d’accès.

Le thérapeute va poursuivre en faisant décrire le logement, le nombre de pièces, ainsi que le nombre de portes et avoir ainsi une bonne connaissance de la topologie.

L’étape suivante va être de proposer l’expérience en la qualifiant d’étrange, voire de bizarre, mais propre à apporter le confort souhaité quant au sommeil.

Il est évident, comme souligné dans l’analyse que nous proposons par la suite, que la confiance établie entre les deux protagonistes est essentielle à l’efficacité  de l’expérience.

Quelques éléments de cette anticipation :

Th. : « Pouvez-vous prendre le temps de vous voir dans votre lit alors que vous venez de vous réveiller en plein milieu de la nuit… Je vous demande de bien vouloir vous asseoir sur le bord de votre lit, de poser vos pieds par terre, vous pouvez sentir le tapis sous vos pieds… et de vous lever.  Vous allez prendre le temps de vous imaginer en train de vous diriger vers la porte de votre chambre. Est-elle ouverte ou fermée ? »

H.    : « Fermée. »

Th. « Vous l’ouvrez et là vous vous arrêtez sur le seuil, vous faites demi-tour et vous franchissez ce seuil à reculons. Vous vous remettez maintenant dans le sens de la marche et vous vous dirigez vers la porte suivante………Vous pouvez sentir vos pas………… »

Le thérapeute lui a ensuite demandé de décrire la « manœuvre » lui-même : s’arrêter sur le seuil, allumer ou pas la lumière, faire un demi-tour sur lui-même, passer le seuil à reculons, se remettre dans le sens de la marche habituelle jusqu’à la prochaine porte, et ainsi de suite jusqu’à avoir de la sorte passé toutes les portes de son logement. Puis le thérapeute lui a demandé de verbaliser le trajet inverse pour retourner dans sa chambre jusqu’à ce qu’il soit en pensée dans son lit et de nouveau allongé – en omettant volontairement de faire référence au sommeil.

Le résultat fut rapide et étonnant : ce monsieur raconta la semaine suivante avoir effectué l’expérience deux fois complètement, y avoir seulement pensé et l’avoir envisagée mentalement ensuite, pour se rendormir aussitôt. Du coup, il était bien sûr reposé et cette expérience – qui demeurait à sa disposition en cas de rechute, avait-il été précisé – a marqué un tournant positif dans sa thérapie. 

 

Analyse de cette séquence : trois facteurs sous-tendent l’efficacité de cette expérience.

Quand nous proposons cette expérience d’anticipation, nous partons de connaissances spécifiées préalables fournies par la personne questionnée (lieu, déplacements), tant il est vrai que nous ne pouvons anticiper qu’à partir du connu. Ces connaissances sont d’abord utilisées pour des actions mentales habituelles (s’imaginer se déplacer) puis tout à coup inhabituelles (passer les portes à reculons). Nous proposons enfin à  la personne de le faire vraiment, de mener cette action en l’inscrivant dans le réel.

1- La qualité de la relation thérapeutique qui aide la personne à décider de mettre en œuvre l’expérience, parce qu’elle a suffisamment confiance dans le thérapeute pour se lancer dans des actes en apparence bizarres et éloignés du but recherché. Confiance qui s’établit certainement plus facilement et rapidement grâce au « contrat de communication ». 

2 – L’utilisation des outils de l’évocation, qui aident à la projection de la pensée et du ressenti dans le futur. Ce futur est contextualisé, dans le temps comme dans l’espace. La fragmentation, c’est-à-dire un déroulé assez lent et minutieux des actions successives dans le respect de la cohérence de la personne. Il est correct à notre sens de parler dès lors d’anticipation et d’énaction : la personne construit  une suite d’actions imaginées qui guideront l’expérience quand elle sera conduite dans le réel. L’anticipation sert de canevas, de carte pour oser l’action. Mais là aussi, « la carte n’est pas le territoire »…

Relevons au passage qu’il est également très intéressant de questionner le « comment une personne s’y est prise ? » et ce qu’elle a anticipé quand une expérience proposée n’a pas été faite. 

3- La connaissance et la pratique de propositions paradoxales à même de provoquer un changement dans l’attention, une confusion dans le ressenti, un déséquilibre dans le fonctionnement d’une personne, ouvrant le champ à de nouveaux possibles.

La séquence se résume ainsi : prise d’informations sur le contexte – anticipation d’actions habituelles, puis contre habituelles – mise en œuvre dans le réel.

Que faisons-nous dans la vie, sinon cela ? À une différence majeure près : Il nous paraît difficile, voire impossible d’envisager seul, en son for intérieur, une action paradoxale ou contre habituelle. De la même façon que la profondeur de notre champ de vision est due au fait que nos deux yeux voient selon deux perspectives différentes (cf. la vision binoculaire), un « autrui », une personne extérieure, correctement formée et qui constitue un système nouveau avec nous, paraît indispensable, ou au moins utile, pour y parvenir. Mais peut-être n’est-ce valable que dans une perspective d’évolution constructive !

Conclusion :

L’une des dimensions originales de l’approche constructive en thérapie est celle du projet, du dessein de la personne. Après l’avoir déjà expérimenté depuis plusieurs années et écrit en 2006, nous pouvons soutenir aujourd’hui que le rôle des anticipations est essentiel à la réalisation d’un dessein (disegno).

Elles influencent les comportements, les ressentis et les émotions. Elles créent un contexte pour l’action. Elles suscitent la recherche ou l’émergence de nouvelles informations qui peuvent infléchir le dessein (nouveaux choix à faire, nouveaux sous-buts devenant des buts préalables à atteindre), adaptation, voire abandon du projet… pour passer à un autre). Si ces conditions sont réunies, il nous paraît alors possible de créer une « mémoire du futur » qui va jouer comme une prédiction autoréalisante positive. L’utilisation de l’anticipation au cours des séances permet en effet d’accompagner un sujet dans la définition et l’implémentation du projet concret qu’il entend mettre en œuvre.

Comme dans toute démarche de changement et d’évolution, la question de l’éthique du professionnel est primordiale. Il ne saurait suggérer de dessein à la personne qui consulte. Il est là pour aider cette personne à dégager son propre projet, à trouver les moyens de l’accomplir, ou le courage de le modifier, voire d’en changer.

Enfin, il est important de souligner la dimension d’apprentissage que revêt une démarche thérapeutique constructive : grâce à ces séquences d’anticipation, après la mise en œuvre de plusieurs expériences dans l’intervalle entre deux séances, et après leur évocation en séance, nous observons la construction de nouvelles perspectives par les personnes qui consultent. Ce que nous faisons spontanément, quotidiennement, en négatif comme en positif, il est possible de le faire de façon constructive et consciente en utilisant entre autres, certains outils de l’explicitation pour former des « souvenirs du futur » soutenant l’action à venir. L’anticipation, utilisée ainsi dans une approche constructive, peut contribuer à faire évoluer la personne dans ses relations au monde et aux autres.

BIBLIOGRAPHIE

ANCILLOTTI Jean-Pierre et COUDRAY Catherine (2006). Thérapie constructive par le dialogue et par l’action – Le banc dans le jardin, Nice, Editions Ovadia-Paradigmes (préface de Pierre Vermersch).

BERTA Mario (1983). Perspective symbolique en psychothérapie. L’épreuve de l’anticipation clinique et expérimentale, Paris, ESF.

BERTHOZ Alain et PETIT Jean-Luc (2006). Phénoménologie et physiologie de l’action, Paris, Odile Jacob.

ROUSTANG François (1994). Qu’est-ce que l’hypnose ?, Paris, Les Editions de Minuit.

SOCK Rudolph et VAXELAIRE Béatrice (Eds) (2004). L’anticipation à l’horizon du présent, Sprimont (B), Mardaga.

SUTTER Jean (1983). L’anticipation, Paris, P.U.F.

WITTEZAELE Jean-Jacques et GARCIA Teresa (1992). À la recherche de l’école de Palo-Alto, Paris, Le Seuil.

 

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ANNEXE 1 : Expérience « papier-ciseaux »

Le point de départ est l’item « Découpage » de la NEMI[16]. Nous donnons le détail de cette expérience, parce que c’est la première de notre série de variations sur le thème de l’anticipation, et comme proposition de travail pour les collègues qui souhaiteraient l’utiliser en situation de recherche ou de formation (c’est un excellent exercice de questionnement pour les personnes possédant les outils de base de l’explicitation).

Matériel :

        Appareil d’enregistrement en état de marche.

        2 feuilles de papier 13,5 x 21 cm demi-format A4).

        Une paire de ciseaux.

        Un stylo en état de marche.

Consignes :

Phase 1 : Action (s’entraîner avant !)

A) Prendre une feuille de papier 13,5 x 21 cm et dire en la montrant :

« Regardez bien ce que je vais faire ».

« Voyez, je plie ce papier par le milieu ».

Ce disant, plier soigneusement la feuille en deux.

B) « Et ainsi encore une fois »

Ce disant, plier soigneusement la feuille en deux encore une fois : la feuille est donc pliée quatre.

C) Prendre les ciseaux tout en tenant la feuille et dire :

« Maintenant, je vais faire une entaille ici ».

Avec les ciseaux, faire une entaille sur les plis des petits côtés, au milieu (entaille en triangle d’environ 2 cm de base et 2,5 à 3 cm de hauteur).

(Les pliages sont volontairement visibles sur cette figure, ils ne doivent pas être visibles dans votre manipulation).

 

Phase 2 : Anticipation.

A) Ranger la feuille qui vient d’être entaillée, et donner le stylo et l’autre feuille au sujet.

Dire :

« Avec ce stylo, vous allez dessiner ce qu’on verrait si on dépliait la feuille.

« Vous ferez des traits pour représenter les plis et vous dessinerez ce qui résulte de l’entaille.

« Quand vous aurez fini, je vous remercie d’indiquer votre prénom sur la feuille et de me la remettre. »

B) Les deux feuilles sont rangées hors du regard du sujet.

 

Phase 3 : Explicitation.

A) Demander la permission d’enregistrer et mettre l’appareil en route.

B) Passer le contrat de communication.

Indiquer que le questionnement durera 30 minutes au maximum, mais que vous arrêterez dès que le sujet le voudra.

C) Commencer par :

« Si tu es d’accord, je te propose de revenir en pensée à ce que tu viens de faire, à partir du moment où je t’ai demandé de regarder, jusqu’au moment où tu m’as remis la feuille. » Lorsque tu seras prêt, fais-moi signe.

D) Vous pouvez alors démarrer le questionnement par la question suivante :

« Lorsque je t’ai demandé de regarder, qu’as-tu vu en premier ? »

• Laisser dérouler l’action en accompagnant par de petites relances sans contenu.

• Récapituler aussi souvent que nécessaire.

ü     Le but est d’aider le sujet à se focaliser et à se maintenir sur ce moment initial où il a commencé à penser à ce qu’il allait faire, à anticiper son action pour répondre à la demande. Comment s’y est-il pris ?

E) Tous les outils de l’explicitation sont à mettre en œuvre pour aider le sujet à mettre en mots ce qui s’est passé pour lui pendant ces quelques minutes (ou parfois secondes) pendant lesquelles il anticipait sa réponse. BREF : Comment a-t-il pensé, imaginé, prévu… ce qu’il allait faire ?

 


[1] Jean-Pierre Ancillotti et Catherine Coudray (2006). Thérapie constructive par le dialogue et par l’action, p. 189.

[2] Paul Watzlawick, (1984) Faites vous-même votre malheur, Paris, Seuil.

[3] Du latin capere, prendre et ante, avant.

[4] François Roustang (1994). Qu’est-ce que l’hypnose ? Paris, Les Editions de Minuit, p. 80-81.

[5] Pierre Vermersch (1994). L’entretien d’explicitation en formation continue et initiale, Paris, ESF.

[7] C’est une donnée constante de la psychologie du développement, et cette antériorité semble bien œuvrer tout au long de la vie. Piaget a montré par exemple que l’enfant anticipe le niveau du liquide dans une bouteille verticale puis penchée en fonction de ses schèmes (voir Jean Piaget et Bärbel Inhelder (1968), Mémoire et intelligence, Paris, P.U.F.).

[8] Rudolph Sock et Béatrice Vaxelaire (éds), (2004). L’anticipation à l’horizon du présent, Sprimont (B), Mardaga.

[9] Giacomo Rizzolatti et Corrado Sinigaglia (2008). Les neurones miroirs, Paris, Odile Jacob.

[10] Daniel N. Stern (1989). Le monde interpersonnel du nourrisson, Paris, P.U.F., (4e édition en 2003).

[11] Martial Van der Linden, (2008) Mémoire épisodique, conscience autonoétique et projection du futur, Archives Jean Piaget, Séminaire interdisciplinaire : Conscience et prise de conscience, Genève, 6 mai 2008.

[12] Communication personnelle de Catherine Lahmi (2010).

[13] « La description d’une action peut se faire suivant différentes échelles correspondant à différentes granularités des unités retenues pour segmenter le déroulement de l’action » (Pierre Vermersch), ce qui est valable selon nous pour l’action mentale d’anticiper.

[14] J.-P. Ancillotti et C. Coudray, op. cit., p. 19.

[15] Edmond Marc, Dominique Picard (2006). L’école de Palo Alto – Un nouveau regard sur les relations humaines, Paris, Retz.

[16] Zazzo R., Gilly M., Verba-Rad M. (1966). Nouvelle Echelle Métrique de l’Intelligence, II, p.91, Paris, Armand Colin.

 

 

2021-07-07T20:54:01+00:00