Conférence – Cannes La Bocca, 17 & 18 novembre 2000
QUOI DE NEUF EN THERAPIE ?
Discours d’ouverture :
Dans un mois, l’association Métamorphoses fêtera son dixième anniversaire. Qu’avons-nous fait de ces dix ans, dont la présente conférence constitue l’un des effets? Dans notre parcours professionnel et personnel, nous avons rencontré des professionnels qui faisaient toutes sortes de formes de thérapie. Nous nous sommes nous-mêmes formés à différentes approches pour tenter d’apporter notre aide à des personnes qui venaient nous consulter pour dénouer des situations qui les faisaient souffrir. Notre pratique, nos choix, nous ont amenés, grâce à l’observation, à l’échange avec ces professionnels, à garder ou à éliminer certains principes, à opérer une sorte de tri parmi toutes ces théories et à forger, à travers l’expérience, notre propre cadre. Ce cadre, nous l’appelons “démarche constructive”. L’un des critères que nous avons suivi au cours de ces dix années réside dans le fait de nous adresser avec une certaine audace, directement aux professionnels que nous considérions, au travers de ces expériences, des rencontres, des lectures, comme les meilleurs de notre point de vue constructif. Aujourd’hui, nous vous les présentons, car nous ne savons pas garder pour nous ce que nous trouvons. C’est ainsi que nous avons fait la connaissance de Claude SERON, qui a été et reste pour nous un formateur hors du commun. Nous l’avons rencontré à Aix-en-Provence, lors de notre formation à l’approche de l’Ecole de Palo-Alto dispensée par l’Institut Gregory BATESON; nous nous sommes rendus à Liège, où Claude SERON exerce au CLIF, Centre liégeois d’intervention familiale. Grâce à lui, au cours de ces voyages, nous avons découvert ce que permet une recherche rigoureuse, un travail assidu à partir de enregistrements vidéo de séances thérapeutiques familiales, ce qu’apporte le travail d’équipe, allié à un respect absolu des personnes. Nous l’avons tous remarqué, les personnes en souffrance se sont la plupart du temps enfermées dans des fonctionnements répétitifs, circulaires, développant des symptômes qui font partie des solutions tentées pour survivre. Elles vivent des situations bloquées: comment leur permettre de les débloquer, de faire en sorte que la souffrance s’arrête, et le plus rapidement possible ? Ayant eu souvent à faire à des adolescents, à des jeunes, et à leurs familles vivant de telles situations, étant centrés sur la recherche de moyens d’action qui leur permettraient d’en sortir, nous avons identifié que, souvent, les troubles dont se plaignaient ces personnes et leur entourage s’organisaient autour de thématiques précises: des jeunes étaient en échec scolaire, ou refusaient de poursuivre leur scolarité, ou se montraient en proie à des obsessions, des peurs des phobies; ils étaient alors catalogués comme schizophrènes, étaient psychiatrisés; des adolescentes présentaient des troubles de l’alimentation, avaient vécus des événements d’abus sexuel, et personne apparemment ne savaient comment les aider à en sortir. À la lecture des ouvrages de Giorgio NARDONE, il apparaissait que quelqu’un, en Italie, avait développé de nouvelles façons de faire dans ces domaines pathologiques. Aussi, nous payant d’audace, nous nous sommes rendus à Arezzo, en Toscane, où nous avons été accueillis avec chaleur et disponibilité par Giorgio NARDONE. Trois rencontres ont eu lieu, nous avons eu le privilège de le voir travailler en direct, de suivre des séances de thérapies, comme vous pourrez en voir des exemples demain ici même, et nous avons été conquis par sa façon de faire, humaine, respectueuse et si efficace, si inhabituelles, dans des situations qui paraissaient sans issue. Pour nous, qui nous inscrivons dans une perspective constructiviste, cette rencontre a agi comme un révélateur. Paraphrasant Jean PIAGET nous disions : ” La personne organise le monde en s’organisant elle-même. ” L’accent était donc mis sur le rôle actif du sujet qui construit l’ensemble de ce qu’il perçoit, de ce qu’il vit, dans son interaction avec son milieu. Nous faisions notre l’idée selon laquelle ” rien n’est donné, tout est construit ” c’est-à-dire que toute connaissance, commune ou scientifique, est le résultat modifiable à chaque instant de ce processus de construction. Les conséquences, en thérapie, nous semblaient devoir être fécondes. Et comme souvent en ce cas, la question qui se posait était : “Comment faire?” Giorgio NARDONE apporte des savoir-faire concrets, créatifs, originaux à cette question. En effet, si l’action est au centre de la construction du monde du sujet, le thérapeute constructif est celui qui amène le sujet à agir en agissant lui-même. Il ne le fait pas en référence aux théories constructivistes mais plutôt dans un état d’esprit nourri par ces approches dont il se sert pour inventer des outils spécifiques à chaque situation rencontrée. Cette action du thérapeute se rapproche davantage de celle de l’artisan qui fait du sur-mesure que de celle de l’industriel qui fait du prêt-à-porter. Avec Giorgio NARDONE, nous avons rencontré un maître en la matière. Un jour, nous avons entendu François ROUSTANG qui donnait une interview à France – Inter (passer l’extrait de la cassette ? ); il y disait notamment qu’il était passé de la question “pourquoi ? ” à la question “comment?”; dans notre expérience, nous avions franchi le même pas, de la recherche des causes à celle des moyens de comprendre ce qui se passe dans l’actualité de la personne et de son système relationnel, en vue de l’aider à sortir de la souffrance, le plus rapidement possible. Nous avons lu ses passionnants ouvrages, à commencer par “Comment faire rire un paranoïaque ?”. Nous nous y sommes totalement retrouvés. Vous comprenez donc que, de ce point de vue, il était indispensable pour nous de rencontrer François ROUSTANG, qui met en relief l’importance de la position du thérapeute ; bien sûr, nous entendons habituellement ce terme de “position” dans un sens déontologique, éthique, et professionnel. François ROUSTANG, et vous allez l’entendre, le voir, et le ressentir dans un instant, prend ce terme au pied de la lettre, en son sens de présence corporelle. Si nous l’avons invité, c’est parce qu’il est ainsi, pour nous, l’une des rares personnes en France qui sauvera de la psychanalyse ce qui peut l’être, bien que lui même, évidemment, ne prétende en rien être un sauveur. Bref, et pour conclure, il nous a semblé que ces recherches, ces nouvelles manières de faire, concourraient à faire émerger une conception nouvelle, constructive, de la thérapie, instaurant un nouveau cadre relationnel, mettant l’accent sur la responsabilité du thérapeute et sur l’action autonome de la personne qui consulte. Ne nous ne berçons pas d’illusion cependant : comme l’a écrit Conan Doyle, “la science est le consensus d’opinion des hommes de science, et l’histoire montre qu’ils sont lents à accepter une vérité”. Ainsi, l’approche systémique est parvenue en France en tant que concept, mais n’est pas encore entrée réellement dans la pratique quotidienne de ceux qui font profession d’aider les autres. Ainsi, dans le sujet d’actualité qui préoccupe jusqu’aux ministres et que représente la problématique douloureuse des abus sexuels, la méthode SVA (Analyse de Validité du témoignage de l’enfant) n’est pas mise en pratique; c’est un problème d’information, et surtout de formation. Nous pourrions multiplier les exemples. Ce qu’il convient de retenir, c’est que seule la pratique effective de ces outils peut permettre de prendre conscience de leur force. Aussi, ce que nous avons voulu faire en organisant cette conférence, ce n’est pas vous présenter ce qu’il y a de neuf en théorie, mais bien de montrer ce qu’il y a de neuf en thérapie. Quels sont donc les points communs, à notre avis, entre nos trois intervenants ?
- D’une part, ils apprennent à travers l’action qu’ils mènent avec leurs patients, en leur apportant un cadre respectueux, un accompagnement sécurisant, permettant aux personnes qui consultent d’accomplir de nouvelles expériences, de développer leur indépendance;
- Nos intervenants, d’autre part, ne travaillent sur le passé, sur le “pourquoi” des choses; la question qu’ils posent est bien : quoi faire, maintenant, pour que cesse la souffrance, pour que s’arrête la plainte; ils travaillent sur le “comment”; et ils ont développé des moyens originaux, inventifs, dans ce dessein; ce sont des inventeurs.
- De plus, ils ont abandonné la croyance selon laquelle une souffrance qui dure depuis longtemps nécessiterait une thérapie de longue durée; ils ont remis en cause avec succès notre perception du temps thérapeutique, autant que celle des moyens à mettre en oeuvre.
- Enfin, comme ils essaient toujours d’aller de l’avant, acceptant d’exposer leur pratique, ils prennent le risque de s’exposer eux-mêmes aux critiques; comment progresser autrement que par l’échange et la critique mutuelle, et autant que cela se peut, constructive et bienveillante ?
Le chemin se fait en marchant, il n’est pas achevé, il ne fait même qu’être tracé. Nous vous avons invités à rencontrer trois de ces « ouvreurs » de chemins nouveaux, et nous vous remercions d’être ici. En effet, il est compliqué et difficile de s’exposer soi-même en prenant le risque de remettre sur le tapis ses propres certitudes professionnelles, et certaines de ses croyances personnelles. C’est difficile, et vous avez franchi ce pas en étant présents aujourd’hui à cette première conférence, qui nous permettra de débattre ensemble, de progresser ensemble. Nous vous en remercions donc sincèrement. Bon anniversaire Métamorphoses, bienvenue à tous, et la parole va être donnée à M. François ROUSTANG
Cannes La Bocca, 17 novembre 2000